vendredi 13 avril 2012

La traversée de l'Atlantique

Mercredi 28 mars 2012 - Je quitte la Marina Mindelo dès 8 heures du matin. Ma grand-voile est envoyée dans la rade avec 2 ris : de fortes rafales peuvent survenir à proximité des îles.






Après un mois et demi en République du Cap Vert, il fallait partir : le pavillon de courtoisie s’effilochait. Il faut dire que le vent a soufflé fort pendant tout le séjour.




Mon ancre est déplacée au pied de mat pour centrer les poids. L’étape sera longue et il n’y a aucun mouillage avant les Antilles.





Le mot du Capitaine – Bonjour. Le bateau est en ordre de marche et il fait beau. Nous sommes partis pour environ deux semaines de navigation. La durée de la traversée devrait être intermédiaire entre le temps de Christophe Colomb et celui de Franck Camas.
Virage à gauche et cap à l’ouest dès le Canal de Sao Vicente, plein vent arrière.
L’île de Sao Vicente s’enfonce sous l’horizon. Un petit coup de pouce d’un moteur sera nécessaire pour se dégager des calmes sous le vent de Santo Antao. Une montagne comme le Tope de Coroa et ses 1979 mètres, ça vous coupe de vent loin derrière

A 14 heures, le ris est largué, l’alizé du nord-est me propulse vent de travers à 8 nœuds. Premier coucher de soleil dans les étraves.



Jeudi 29 mars  – le soleil se lève douze heures plus tard juste dans le sillage. La nuit a été calme avec un vent faible et un ciel étoilé.






Le mot du Capitaine – Bonjour. La première journée n’a pas été facile avec des vents variables et faibles. Depuis hier soir, nous sommes enfin dégagés de l’influence des îles et la nuit est passée en douceur. Aujourd’hui, je vais bidouiller pour limiter l’usure du matériel aux allures portantes.










Il l’a dit, il l’a fait. Je me suis retrouvé avec une superbe retenue de bôme pour tenir ma grand-voile,










Un palan et un sandow limitent les mouvements de la bastaque sous le vent.






Jusque-là, les choses sont conformes aux règles maritimes : les poivrons rouges à bâbord et les poivrons verts à tribord.






Et là, catastrophe : pour les besoins de la chouchouka, le rouge et le vert se mélangent. Il faut dire que la chouchouka est très pratique en mer : elle se mange chaude ou froide, seule ou avec ce que l’on veut.


En 24 heures, j’ai parcouru 175 miles. Le vent est régulier en force et direction : nord-est 15 nœuds.
Premier incident : le point fixe du palan de la drisse de genaker a cédé dans l’après-midi.  Le genaker sera désormais envoyé sur drisse simple.


 



Vendredi 30 mars – Nuit calme jusqu’à 4 heures du matin. Le vent a ensuite fraichi  et le genaker est remplacé par le foc.





Le mot du Capitaine – Bonjour. Nous naviguons sur l’orthodromie, bien que la différence en distance ne soit pas très importante près de l’équateur. Nous visons le 18ème parallèle pour le milieu de l’Atlantique. Ensuite, nous redescendrons vers la Guadeloupe.




A midi, nous avons parcouru 400 miles depuis Mindelo et 190 miles sur les dernières 24 heures. Je ne sais pas si je vais tenir cette cadence longtemps.


Je vais vite aux allures de largue et grand largue. Mais l'équipage est secoué.

 




A 19 heures, la bosse bleue du ris 1 casse.
Je passe au 2ème ris : c’est le bout blanc.
Devinez la couleur du bout du 3ème ris ? C’est facile, il se voit sur la photo.
Le soleil se couche entre les étraves. Les méridiens défilent : une heure a été retirée aujourd’hui aux horloges du bord. Nous en sommes à GMT – 2.


 Samedi 31 mars – Yves a bien fait de réduire la voilure dès hier soir. Dans la nuit, le vent est monté à 20 nœuds et j’ai pu supporter cette augmentation de la force du vent sans manœuvre supplémentaire.




 A 8 heures, une voie d’eau dans ma coque bâbord, celle qui est sous le vent. La pièce qui ferme le panneau s’est cassée. J’avais déjà eu le même problème sur le panneau tribord. Une plaque métallique était prête et elle est rapidement mise en place. Je suis de nouveau étanche. Reste à pomper l’eau qui est entrée dans la coque. L’alerte a été chaude : l’eau rentre très vite par ce trou au ras de l’eau.
Le mot du Capitaine – Bonjour. La matinée a été marquée par un incident sur un panneau de survie. Maintenant, je sais d’où vient le nom de ces panneaux : ils peuvent rapidement vous obliger à utiliser le canot de survie. A surveiller de très près jusqu’au Antilles. Après ces trois incidents, à savoir le point fixe de la drisse de genaker, la bosse de ris et le panneau, je vais réduire la toile pour ménager le matériel.
Il n’en continu pas moins de titiller sans arrêt les écoutes. Heureusement qu’il ne veut pas me fatiguer.








A 14 heures, nous avons croisé un cargo. Il est passé loin devant. En fin d’après-midi, la balancine s’est décrochée du bout de la bôme. En regardant de plus près, Yves s’aperçoit que l’arrière du lazybag est déchiré. Je pars en petit morceaux ! 












Dimanche 1er avril – La nuit a été sereine : le vent est resté constant  en force et direction. Le soleil se lève dans un ciel dégagé.

 Le mot du Capitaine – Bonjour. Mauvaise nouvelle : une forte tempête s’est abattue sur la zone tropicale. Un vent violant et de la pluie mêlée de neige sont attendus pour ce matin. Les conditions empireront dans l’après-midi.  Cette situation exceptionnelle est due au dérèglement climatique, conséquence des essais nucléaires de Mururoa.
Pour faire face à cette situation désespérante, je recommence à fumer : je ne vois pas d’autre solution.














Eh oui, nous sommes le 1er avril, jour du poisson volant d’avril.










Il a fait le tour du bateau celui-là : le capitaine …










… qui le repasse à l’annexe …






… qui me l’a glissé sans que je m’en rende compte.






Le repos dominical n’existe pas dans la vie du marin. La grand-voile est affalée pour remise en état des bosses de ris, du lazybag et pour fixer la balancine.








C’est même mieux qu’avant : Yves a mis des poulies sur la voile pour les ris 1 et 2. A 15 heures, la grand- voile est envoyée et nous repartons ...






… toujours vers l’ouest, là où le soleil se couche.
Peut-être arriverons-nous un jour à voir ce qu’il fait une fois qu’il est couché !





Lundi 2 avril – Après une nuit étoilée et un vent soutenu de 15/18 nœuds, le jour se lève … immanquablement.











Ça c’est la tête du lundi matin du gars qui a fait de la voile tout le week-end.
Le mot du Capitaine – Bonjour. Tout est maintenant en ordre sur le bateau et pour la grand-voile plus particulièrement ; elle est en état pour nous propulser de l’autre côté. L’objectif d’être plus rapide que Christophe Colomb est maintenu : il faut un objectif pour mobiliser une équipe.



Jour et nuit, je capte le vent dans mes voiles et je fais avancer les coques dans la bonne direction. Et lui, il regarde. Comme tous les managers, une fois que l’objectif est fixé, il a fini de travailler. Bon, je ne suis pas sur ce blog pour faire du mauvais esprit, mais quand même.





Le vent est plus Est que Nord-est, ce qui nous fait que notre cap est de plus en plus vers le nord. Il faudra bientôt changer d’amure. Ça se voit, le soleil ne se couche plus juste devant mes étraves.

Mardi 3 avril – Le soleil ne se lève plus non plus juste dans le sillage.






Le mot du Capitaine – Bonjour. J’ai pris une décision ce matin en ma rasant (c’est classique de penser en se rasant parait-il). Je n’ai pas pris cette décision plus  tôt parce que je ne me rasais plus depuis le départ.  Ma décision est que nous allons changer d’amure en empannant dès ce matin.




Pour tout vous dire, avant d'agir, il a pris son petit déjeuner. Il y a des gens qui changent d’avis en mangeant qui est aussi un moment de réflexion quand on est seul autour de la table.


Par 18°47N et 43°28W, je suis passé bâbord amure. Je ne suis plus prioritaire sur les autres voiliers. Ce qui n’a aucune importance : le trafic est très faible dans ce coin du monde.


La moitié du chemin est fait.

Les ombres se sont déplacées avec le changement de cap. Mon trampoline qui était à l’ombre l’après-midi se retrouve au soleil. Les voiles protègent moins le roof des rayons du soleil : 28°C dans le carré avec les panneaux ouverts.






Cap au 260. L’Amérique est toujours devant. Et le vent de Sud-est : les alizés du Nord-est se font avoir me semble-t-il lors d’une conférence Nord-Sud.














Mercredi 4 avril – Ça devait arriver un jour : il a plu ce matin pendant 15 minutes. C’est la première pluie que je reçois depuis plus de 9 mois. De la boue a coulée au pied du mat et des haubans.




Le mot du Capitaine – Bonjour. Décision unilatérale : l’heure de toutes les horloges du bord sera retardée d’une heure pour être en totale harmonie avec le soleil de l’endroit où nous nous trouvons actuellement : la Dorsale Médio-Atlantique








A force de naviguer vers l’ouest, il faut bien oublier l’heure européenne, qu’elle soit d’été ou d’hiver.








Dans l’après-midi, le vent faiblit et c’est le moment de sortir le spi de ma soute avant et de l’envoyer : un peu de couleur dans cet univers marin.






Mes coques traversent régulièrement des bandes d’algues qui flottent en surface. Yves en a capturé un spécimen pour identification. Il ne m’a dit ni leur nom scientifique, ni leur nom commun.








Jusqu’au soir, le vent est faible et ma vitesse de même. La ligne de pêche est mise à l’eau mais les thons habitent ailleurs sans doute.














Jeudi 5 avril – Mer agitée pendant la nuit, avec un vent de 20 nœuds. Un grain a continué le lavage de ma grand-voile, mais que du coté au vent. La mer est toujours formée ce matin et nous sommes secoués. Yves n’arrête pas d’adapter ma voilure au vent : sortie du genaker, foc roulé et inversement, prise du ris 1, du ris 2 et inversement.

Le mot du Capitaine – Bonjour. Nous ne sommes plus  sur la route idéale, celle qui nous mène directement vers la Guadeloupe. Le vent m’oblige à faire un cap au 240 et nous descendons  vers le sud plus que nécessaire. C’est un inconvénient du catamaran : il n’avance pas au vent arrière, il faut donc tirer des bords au portant ce qui allonge la route.






Je tiens à vous préciser que je n’ai pas besoin de manœuvres permanentes : il reste du temps pour lire.




Depuis 24 heures, j’ai parcouru 170 miles et seulement 135 en direction de la Guadeloupe. Pas de panique, j’ai encore un peu d’avance sur le temps de Christophe Colomb.
La lune est maintenant de plus en plus présente la nuit. La pleine lune c’est pour demain.



Vendredi 6 avril – le soleil  lève invariablement dans le sillage. Là, il était déjà haut quand le capitaine est sorti pour immortaliser l’instant.

Le mot du Capitaine – Bonjour. Nous avons encore une mer croisée et agité : rien de confortable. Nous passerons aujourd’hui au-dessus de Researcher Bridge, des « hauts fonds » de 1000 mètres.


Je continue mon travail de bateau : tracer deux sillons dans la mer dans la direction souhaitée par le capitaine. Aussi rapidement que les conditions météorologiques et l’état de la mer le permettent. Ce matin, je descends les vagues à 9 nœuds toujours au cap 240.












Depuis Mindelo, j’en suis à une vitesse moyenne de 7.4 nœuds.












Approche du week-end de Pâques ?
La douche est sortie et l’ eau chauffe au soleil.
Le surplus d’eau sera pour nettoyer mon cockpit.


Après plusieurs heures d’affût derrière la dérive, Yves le chasseur d’image a réussi à immortaliser un poisson volant. J’exagère, mais il y a passé du temps et beaucoup de « pellicule ». Les sujets que je dérange avec mes étraves ne manquent pourtant pas.

Ça donne toujours des images de vagues avec les poissons  volants en dessous, sur les pistes de leurs aérodromes.






Odeur inhabituelle sur cette zone sans boulangerie. C’est le deuxième pain de la traversée confectionner avec de la levure de France, de la farine du Sénégal et de l’eau de mer de l’océan Atlantique. Un pain international !






Ce soir, la mer s'est calmée. Le genaker reste à poste jusqu’à la tombée de la nuit. Ensuite, un peu de tranquillité pour celui qui dort.












Samedi 7 avril – dix jours de navigation depuis le Cap Vert. Une grande partie du trajet est fait.







Le mot du Capitaine – Bonjour. La température continue de monter. Faut –il envisager une alerte canicule ?








Là, il cogite. Il doit y avoir de l’empannage dans l’air. Les derniers fichiers météorologiques sont réceptionnés  grâce au téléphone satellite


Nous sommes au point rouge. Si l’on continue, nous allons nous retrouver « sur les bords du cadre ». Tous les régatiers vous diront que ce n’est pas bon. Il faut donc empanner.










Et nous passons de bâbord amure à tribord amure à midi. En plus des voiles qui changent de côté, il y a une foule de détails de la vie du bord qui changent aussi.
La cafetière par exemple : si elle ne passe pas de l’autre côté de l’équipet, elle fera du bruit la nuit prochaine.
























Nous voilà donc de nouveau avec le vent qui m’arrive du côté droit. Et de nouveau prioritaire : ça me fait une belle dérive.







La journée se passe sans incident, sans modification du vent et donc sans modification de voilure. Depuis trois jours, les distances parcourues  en 24 heures sont autour de 150 miles. Les nuits confortables se paient au compteur.














La pleine lune vient de passer. Le lever de lune a lieu 1heure après le coucher du soleil. Nous devrions largement bénéficier de sa lumière  jusqu’en Guadeloupe.







Dimanche 8 avril – C’est Pâques. En mer, pas de cloche : vous avez déjà vu une cloche  flotter. Qui dit pas de cloche, pas d’œufs à chercher sur le pont, ni dans l’annexe.
 




Le mot du Capitaine – Bonjour. C’est le dimanche de Pâques et il fait chaud, même la nuit. Un très ancien proverbe celte dit : « Quand Pâques est au balcon, le chocolat fond ». Surtout, n’attendez pas pour le manger.















A 8h30, nous avons croisé ce bateau qui allait vers le nord-ouest. C’est le premier navire que je vois depuis 8 jours.








Nous naviguons toujours parmi des algues. J’arrive de temps en temps à en attraper une dans les sous-barbes de tangon.





Ce soir, Yves a terminé les 923 pages du roman de James Ellroy « Underworld USA » : il fallait bien une traversée de l’Atlantique pour en venir à bout de ce livre.











Lundi 9 avril - Coucher de soleil dans mes étraves et lever dans mes sillages. Une traversée océanique est vraiment une grande ligne quasiment droite : pas un cap à doubler, pas une île à contourner, pas un port pour relâcher, pas un haut fond à éviter.



Le mot du Capitaine – Bonjour. La situation est toujours sous mon contrôle et l’escale  approche. Ce matin, nous avions parcouru 2100 miles, soit la distance Mindelo – Point-à-Pitre en ligne droite. Mais à la voile, le plus court chemin n’est pas celui que l’on croit. Sauf incident et si le vent se maintient en force et en direction, nous devrions voir la terre demain midi. Ce midi, nouvel empannage pour revenir sur une route qui nous mènera entre Marie-Galante et La Désirade demain matin.








Alors comme ça on arrive bientôt. C’est pour ça qu’il s’est mis à nettoyer tout l’intérieur. L’extérieur est plus propre qu’au départ : les parquets de mer m’ont refait une beauté et effacé la poussière laissée par l’harmattan. 









Un vent portant modéré, une eau de mer qui se réchauffe, et je navigue tout panneaux ouverts. Je suis vraiment sous les tropiques.

Et plus un mot sur la pêche : bizarre non ? Eh bien du thon, il y en avait déjà beaucoup à bord. Du très bon, le meilleur du monde d’après les gens du Cap Vert, présenté dans une très belle boite. Pour que le monde tourne rond, il faut que chaque chose soit à sa place. Donc le thon est pêché par un bateau de pêche et moi je suis un bateau de plaisance. J’ai bien eu une ligne sur l’arrière de temps en temps.
Mais les poissons voient bien qu’avec nous, ils ne finiraient pas dans une belle boite rouge.







Vent faible tout l’après-midi. Dernier couché de soleil sur les étraves et réduction de ma voilure pour la nuit. Le capitaine doit bien dormir pour être en forme pour l’atterrissage.













Mardi 10 avril : Plusieurs grains pendant la nuit. Les deux côtés de mes voiles ont maintenant été bien rincés.



Le mot du Capitaine – Un avion est passé dans le ciel hier soir, signe que la terre approche. Pas de lunettes de soleil ce matin pour voir plus loin. Une île devrait apparaitre très rapidement devant nous et je fais une veille permenente.




















Mes étraves mettent encore plus d’ardeur pour fendre la vague. Et …

















… La Désirade sort de l’horizon à l’endroit prévue. Elle n’est pas très grosse cette île. Christophe Colomb a eu de la chance de tomber dessus en novembre 1493 lors de son deuxième voyage. Surtout que lui n’avait pas de GPS : c’est un système de positionnement américain et les Américains n’étaient pas encore inventés à cette époque, bien sûr.






Christophe Colomb était à court d’eau lorsqu’il a atteint La Désirade. Nous nous allions être à cours de beurre demi-sel. Ouf.


Une fin de parcourt ponctuée d’empannages. J’ai parcouru 2390 miles pour faire cette traversée, en 13,4 jours, soit une vitesse moyenne de 7,4 nœuds.
C’est le GPS qui donne tous ces chiffres.


A 9heure 30, les SMS tombent sur le téléphone portable.
A 10 heures, Marie-Galante est en vue. Des conversations sont captées par la VHF.
A midi, nous sommes par le travers de Petite Terre.



La grand-voile a été affalée à 16 heures et maintenant, je suis amarré à un ponton de la marina de Bas-du-Fort à Pointe-à-Pitre. Contrat de voilier rempli.
Un petit oiseau est venu se poser sur l’écoute de foc pour nous souhaiter la bienvenue en Guadeloupe ...