DU PANAMA A
L’EQUATEUR
Lundi 13 octobre.
Cette nouvelle semaine sera une semaine
de navigation. Arrêt au poste de carburant de la Marina Flamenco (c’est pour ça que j’ai mes pare-battages à poste sur la photo). Sur Internet les marins sont unanimes : il n’y a pas de vent dans la zone que nous allons traverser. Donc a priori navigation au moteur.
Après un slalom entre les bateaux au mouillage, Panama City est dans mes sillages.
Il est onze heures du matin. Je suis au près serré dans un vent de 5 nœuds.
A midi, nous doublons l’Île de Taboguilla, point de rendez-vous des pétroliers.
Les navires qui ne sont pas pétroliers vivent leur vie sur rade. Chez mes semblables de gros tonnage, il y a de la ségrégation.
Voilà la route de plus de 600 miles que je vais faire pour rallier l’Equateur.
Le Capitaine analyse les fichiers météo depuis plus de trois semaines. Il a finalement arrêté sa stratégie : cap sud sud-ouest jusqu’à l’île de Malpelo. Puis cap sud sud-est. Ainsi, nous n'aurons pas le vent juste de face sur la fin du parcours. Nous éviterons également les zones de pêche.
Mardi 14 octobre.
Je serre le vent autant que possible, un vent léger mais suffisant. D'autant qu'au près, ma vitesse s’additionne au vent réel.
Nous nous extrayons du golf de Panama en passant à 10 miles à l’Ouest de l’archipel des Perlas, puis le vent adonne ce qui me permet un cap au sud sud-ouest. Finalement, mes moteurs n’auront tourné que 6 heures.
Un visiteur se présente vers 5 heures de l’après-midi ; nous sommes à 40 miles de la terre la plus proche et il est tout petit.
C'est un éclaireur : ses congénères suivent.
Ils s’installent un peu partout sur le pont …
… et dans le gréement.
Les curieux qui sont entrés dans le carré ont été priés de ressortir : ils ne savent pas utiliser les toilettes.
Finalement, la fête s’organise sous le bimini.
Mercredi 15 octobre
Les oiseaux sont repartis dès le lever du jour. Quelques uns ne sont pas repartis : épuisés, ils ne se sont pas cachés pour mourir.
Le soleil se couche sur la 3ème journée de navigation.
Le vent refuse pendant la nuit et je me retrouve au près serré. Pour la satisfaction du Capitaine, je fais parti des catamarans qui remontent bien au vent.
Jeudi 16 octobre
Le jour se lève sous un ciel gris et avec du crachin comme à Cherbourg.
Pour Cherbourg, je ne fais que répéter ce qui se dit : je n’y ai jamais mis mes coques.
L’île de Malpelo est en vue en milieu de matinée. Nous passons à 10 miles dans son Est, sans nous arrêter. Ce gros caillou isolé n’a pas de mouillage bien abrité. De toute façon, on ne va pas faire escale dans toutes les îles du Pacifique.
La journée s’est passé au près bon plein, dans un vent de 10 nœuds sous un plafond bas.
Heureusement que j’ai un GPS parce qu’un sextant aujourd’hui aurait été aussi utile qu’un parachute dans le dos d’un scaphandrier.
Vendredi 17 octobre
Ce matin, toujours un ciel couvert et du crachin. Je suis toujours au près et le vent commence a refuser comme prévu. Il a fraichi aussi : 15 nœuds, 20 parfois. Ma route s’est incurvée plein sud : nous ne gagnons plus vers l’Ouest mais ça devrait passer pour terminer sur ce bord.
La routine s’est installée à bord : le Capitaine vit comme au mouillage. Les trois repas sont pris à table, aux heures convenables pour des gens civilisés. L'heure du dîner est cependant un peu avancer pour que la vaisselle soit faite avant la nuit.
Samedi 18 octobre
Il va se passer quelque chose : le Capitaine scrute l’horizon.
Puis il commence à parler d'une ligne imaginaire. Il délire ?
Non, nous allons couper cette ligne imaginaire que l’on nomme équateur. C’est la première fois que je la coupe, alors le Capitaine a sorti un grand couteau bien affûté.
A 11h14, c’est fait, la …
… ligne est proprement coupée.
Sur la carte, on voit bien que je ne suis pas le premier à la couper : cette ligne est maintenant un véritable pointillé.
La fin de la traversée approche. En début d’après-midi, nous croisons un bateau de pêche. Ceux qui écrivent sur Internet qu’il n’y a pas de vent disent aussi qu’il y a plein de pêcheurs et des filets partout. Nous ne devons pas être à la même saison que les écrivains internautes.
A 16 heures, je présente mes coques devant Bahia de Caraquez. Il y a des vagues déferlantes partout dans l’estuaire. La Capitaine appelle le pilote par VHF. Il nous donne rendez-vous ... demain midi : il n’y a plus assez d’eau pour entrer.
Cap au large, grand-voile renvoyée pour une nuit supplémentaire en mer. Le Capitaine est bien silencieux !
Dimanche 19 octobre, 13 heures
Ça y est, je suis sur coffre dans l’estuaire du Rio Chome, devant le village de Bahia de Caraquez. Entrer avec un pilote est impératif : la passe est étroite, le balisage absent et les vagues déferlent de chaque coté.
Tous mes panneaux de pont grands ouverts, je me ventile mes intérieurs.
Depuis Panama, j’ai fait une moyenne de 5 nœuds durant 5 jours et demi.
Les moteurs m'ont poussé pendant 12 heures, les voiles ont fait le reste.
EQUATEUR
Visite de Quito
Pour entrer en Equateur, il faut qu'il reste plus de 6 mois de validité au passeport. Le passeport de mon Capitaine expire dans 5,5 mois. L'officier immigration ne peut pas mettre le tampon d'entré.
Yves fait son sac et il part pour Quito demander un nouveau passeport au consulat de France. Un voyage de huit heures en bus.
La ville est à 2850 mètres d’altitude, au milieu de la vallée des volcans. Dans son sac, il a sa veste polaire mais il a oublié le parapluie.
Visite au consulat de France pour obtenir un passeport d’urgence ; une journée d’attente dans les rues de Quito …
… et le lendemain, avec un passeport
d’urgence tout neuf valable 1 an, retour au terminal routier puis de nouveau huit heures de bus pour rentrer à mon bord.
Le passeport neuf ne plait pas aux services d’immigration. Yves s'est rendu au consulat sans visa, donc comme un clandestin. Il y a de quoi irriter un fonctionnaire.
RETOUR DANS HÉMISPHÈRE NORD : CAP SUR LA COLOMBIE
Nous nous éloignons du Rio Chome.
Faire demi-tour pour un tampon d'immigration !
C'est très clair : il a les boules le Capitaine.
Suivez bien sur la carte parce que mes sillages vont se couper et se recouper. Nous faisons route vers Tumaco en Colombie : 235 miles vers le nord. C’est le port le plus proche en dehors Equateur depuis Bahia de Caraquez.
Au largue dans un vent de 12 nœuds et mer plate : je file vite sans secouer le Capitaine
A 15h45, je passe la ligne imaginaire de l’équateur pour la seconde fois.
Malgré le soleil, il y a moins de joie à bord que lors du passage précédent. Comme sur l'Autoroute du Soleil, suivant que vous alliez sur Paris ou sur Orange.
Ce soir, le couché de soleil est automnal : bienvenu dans l’hémisphère nord.
Je reçois le vent du trois quart arrière et retrouve le plaisir des allures portantes.
Dimanche 2 novembre
Nuit calme sous une lune en demi-lune. Nous n’avons pas vu de bateau de pêche (il y a sans doute moins d’activité dans la nuit du samedi au dimanche) et croisé deux navires de commerce. Au lever du jour, un groupe de dauphins nous accompagne un moment : ils font leur footing dominical.
Depuis l’empannage de 10 heures du matin, nous faisons route proche de l’Est. Jusqu’au soir, le vent se oscile entre 6 et 10 nœuds. J’avance à 5 nœuds : à cette vitesse-là, nous arriverons avant que le jour ne se lève.
Lundi 3 novembre
Dans la nuit, le Capitaine m’a rogné les ailes : un ris, puis deux, puis trois, puis foc roulé. La pluie a commencé à tomber à 4 heures du matin alors que le vent refuse. Grand-voile et foc ont repris du service et à 6h30, je suis à la bouée d’atterrage de Tumaco. Nous sommes en Colombie : les garde-côtes nous rendent visite immédiatement.
Le Capitaine demande par VHF l’autorisation d’entrer à Tumaco.
Nous embouquons le chenal après deux heures d’attente.
Le système de balisage de Colombie est aussi fourni sur la côte Pacifique que sur la côte Atlantique : le service des phares et balises à un budget équilibré pour la peinture rouge et la peinture verte.
TUMACO - COLOMBIE
Après une fouille de mes coques par les garde-côtes, le Capitaine est obligé de mouiller mon ancre en zone militaire. Un commando de marine me garde depuis le quai : il ne me quitte pas de l’œil comme si j'étais une star du show-biz. La nuit, il veut voir mon feu de mouillage.
Je suis au pied du Moro : l’endroit n’étant pas accessible aux humains, les oiseaux y sont rois. Mon pont en porte les traces.
Le Capitaine descend à terre pour les formalités.
Le long du quai, des embarcations bien particulières : speed boats et ...
... semi submersibles ayant appartenu à des narcotrafiquants.
Visiblement, quand l’équipage est en prison, le bateau dépéri.
Personne ne prendra le risque de nous voler la Petite. Elle est sous haute surveillance elle aussi, tache blanche dans une armada grise.
Pour les formalités, il faudra attendre demain : pas une âme dans les bureaux et peu de monde sur la base.
Nous somme lundi 3 novembre. Les fonctionnaires « récupèrent » le 1er novembre qui tombe cette année sur un jour chômé, le samedi. Rien ne se perd …
Pour moi, l’essentiel est de pouvoir passer la nuit dans un mouillage bien abriter. La Capitaine a reçu des consignes très strictes : être à bord à 6 heures le soir, interdiction de rentrer en état d’ébriété, assurer une garde permanente à bord.
Soit il ne respectera pas le règlement, soit l’escale sera courte.
Il y a beaucoup de trafic maritime devant moi. Je suis mouillé devant l’île du Moro à bonne distance de la ville de Tumaco. Et tous ces bateaux rejoignent la ville. Les lanchas ont l’étrave qui pointent vers le ciel : le bareur ne voit rien devant, il faut une vigie.
Il y a aussi des pêcheurs plus modestes, qui prennent leur pirogue pour un paddle. Le pagaie ne fait pas de bruit, ce qui leur permet de parler de tout et de rien en navigant à leur rythme.
Certains passent près de moi et proposent poissons ou gambas. Un coup de sifflet du garde-côte coupe le négociation.
Un taxi-moto a conduit mon Capitaine en ville, distante de 5 km du mouillage. Il a fait le retour à pieds sans se perdre.
Les berges sont couvertes de maisons ou de hangars sur pilotis, surtout en centre-ville. Il n’y a pas d’immeuble ni de centre d’affaire ici : les maisons passent rarement le premier étage.
La moto est la reine du bitume.
Les dames sont en scooter.
C'est quoi un homme sur un scooter ?
Déambuler en ville avec ses enfants devant les boutiques est une activité, même sans le sous pour acheter.
Réfléchir dans un bar est également une activité, tout en rêvant au jour où l'on pourra se payer une bière.
Le dimanche de superbe bus emmènent tous les citadins à la plage. Elle est à coté du mouillage. Yves suit le mouvement.
Les parents s’installent dans les innombrables buvettes qui bordent la palge,
Les enfants jouent dans l’eau toute la journée,
Ceux qui ne sont pas encore parents font des plans pour le devenir.
Deux bombes ont explosées en ville au troisième jour de notre escale. La capitainerie a informé Yves que Tumaco est en zone « rouge ». Les hélicoptères tournent au-dessus de mon mat toute la journée : ils vont finir par me l’accrocher. On se dégage.
L’autorisation de départ demandée le jeudi est obtenue le vendredi. A la capitainerie, il y a beaucoup de monde ... pour le match Colombie/USA. Fin du match sur une victoire colombienne. Le Capitaine obtient les documents de départ.
Vendredi 14 novembre
Il revient à bord avec tous nos papiers en règle (il y avait longtemps que ça ne nous était pas arrivé). L’ancre est relevé à 17 heures et à 17h05, les autorités nous arrêtent : ils veulent me faire accompagner par un garde-côte jusqu’à la sortie du chenal. Les autorités maritimes et militaires doivent se mettent d’accord ... e Capitaine a remouillé mon ancre. A 20 h, le bateau des garde-côtes arrive et … Yves leur donne rendez-vous pour demain 6 heures. Non mais. De toute façon, nous étions vendredi.
CAP AU SUD VERS L'EQUATEUR
6 heures du matin, ils sont là, on y va. Eux sont en gilet pare-balle, pas mon Capitaine.
Avis à ceux qui veulent se lancer dans le commerce à Tumaco : mieux vaut ouvrir une boutique de gilets pare-balle que de tee-shirts.
Je ne peux m’empêcher d’accélérer de temps en temps pour voir s’ils suivent. Ils suivent : c’est facile avec leur trois moteurs de 250 chevaux chacun soit 750cv … tant qu’il y a du carburant. Il me libère à la sortie de chenal.
Le lendemain, le général colombien Ruben Alzate est enlevé par les FARC.
Nous croisons nos pêcheurs colombiens de Tumaco sous leur étrave toujours pointée vers le ciel. Au revoir Colombie.
Je reprends le même chemin que pour venir mais cette fois c’est face au vent. Nous allons tirer des bords pour doubler Punta Galera, puis mettre cap au sud au près tribord amure.
Je suis remonté Ouest Nord-ouest jusqu’à 13 heures, puis Sud Sud-ouest jusqu’au soir. Le vent reste dans l'axe de notre route ; il souffle entre 15 et 18 nœuds.
A 21 heures, le Capitaine m’a fait virer de bord pour avoir un cap vers le large pendant la nuit. Il se méfie de Morphée : elle serait capable de le retenir dans ses bras plus longtemps que prévu et moi je me retrouverai sur les récifs d’Atacames.
Dimanche 16 novembre
7 heures du matin, virement de bord et cette fois je suis cap au sud. Enfin. L’anémomètre affiche 20 nœuds : la grand-voile est au deuxième ris.
Le vent diminue au couché du soleil. Toute ma toile est envoyé et je tiens toujours un cap sur la route directe.
Lundi 17 novembre
5h27 du matin, le jour commence à se lever.
Je franchis la ligne imaginaire de l’équateur pour la troisième fois.
5 minutes plus tard, je suis toujours sur la ligne !
Ma coque tribord aurait-elle accrocher la ligne imaginaire ?
A quelques centièmes de minute près, je suis une fois au nord une fois au sud.
Puis tout se stabilise : ni nord ni sud, cap à l’ouest, je fais ce qu’aucun monocoque ne pourra jamais se permettre …
JE CHEVAUCHE LA LIGNE IMAGINAIRE DE L’EQUATEUR.
Un coup d'oeil sur ma trace électronique : le chevauchement est confimé.
Après cet exploit, nous reprenons notre route vers le sud. Il faut arriver à Bahia de Caraquez pour la pleine mer de 12h10.
Un voilier à l'horizon.
Il pourrait servir de modèle à un peintre du Croisic. Un seul homme d’équipage, un plan de voilure classique.
Bon prince, nous croisons derrière pour ne pas le déventer.
Le transport de marchandises à la voile existe toujours ... mais il est rare.
Le Cabo Passado est doublé un peu avant midi. Le vent adonne ensuite et je me fais un beau run sous le vent de la côte.
A 12h45 les voiles sont affalées ; à 12h50 appelle du pilote par VHF.
Il arrive à 13h10 : je le connais, c'est le même qu'il y a un mois.
A 13h30, je suis amarré au même coffre que 17 jours plus tôt, face à la capitainerie, encadré par des amiraux de bronze.
Cette fois-ci le passeport du Capitaine convient aux autorités équatoriennes et je peux rester me détendre dans le Rio Chone.
Après trois passages de l'équateur, je suis en Equateur.
Je vais mettre mes guirlandes pour les fêtes de fin d'année en été.
Bonne année ! Bonne nav' !
RépondreSupprimerPasser 3 fois l'Équateur... il est marrant ton capitaine !
Ségo